dimanche 27 novembre 2016

Sic transit gloria mundi

David Hamilton s'est suicidé ce week-end. Je me souviens que je le croisais parfois rue Delambre chez Picto, ainsi que Robert Doisneau d'ailleurs. Mais je ne leur ai jamais parlé. Ces deux-là étaient vraiment les opposés. L'un dandy déraciné photographe de nymphettes éthérées, installé à Paris. L'autre photographe romantique du prolétariat en noir et blanc, vivant à Montrouge. À vrai dire, concernant le premier, j'avais surtout le souvenir des produits dérivés illustrés par ses photos, vendus en supermarché comme des classeurs ou des cahiers de texte. Il y avait eu une fois aussi un portfolio de natures mortes dans le magazine PHOTO, ou il était question de montrer qu'il était capable de faire autre chose que ce pour quoi on le connaissait. Et puis en 2007 je crois, j'ai vu par hasard une exposition rétrospective au Musée d'art moderne de Lyon de David Hamilton. Ce jour-là, j'ai réalisé combien s'il avait produit ces images aujourd'hui, il se serait retrouvé au pénal direct assigné de toutes parts, sans passer par la case notoriété, sauf à la rubrique judiciaire. Un paradoxe, alors que pendant des années, il y a été multi publié absolument (presque) partout dans le monde sans l'ombre d'un problème tant le produit était rentable pour tout le monde. Mais ce n'est pas le seul de paradoxe puisque la photo illustrant le livre de l'animatrice de télévision et de radio qui a révélé les turpitudes du photographe (sans citer son nom) est de ... David Hamilton. L'éditeur de cet ouvrage a donc acheté les droits de cette photo (ou pas) pour l'occasion. Le photographe a lui terminé sa vie, la tête dans un sac plastique, dans un flou artistique qui l'avait rendu célèbre.

Frozen Piglet


lundi 14 novembre 2016

Moins cher de chez moins cher

Des salons professionnels, j'en ai fait des tonnes et c'est pas facile. J'ai connu l'époque où des mecs shootaient les stands à la Lihnof en trimballant leur matos sur des chariots à roulettes et moi-même, j'ai fait de la retape chez les exposants avec mes tofs de Chirac en train de serrer les louches et croyez-moi, ça valait le coup de se casser le cul parce que tout le monde voulait sa photo avec lui et que c'était payé à la livraison. C'est à peu près à ce moment-là que j'ai cessé d'aller définitivement au "Salon de la photo" qui pratique le mélange des genres depuis toujours. Je laisse bien volontiers la place à tous les blaireaux de compétition qui arpentent les allées en rêvant, bardés de leur petit matériel et équipés comme des clowns en vacances. L'avantage, c'est que pendant qu'ils sont là-bas, ils ne viennent pas nous faire chier dans les magasins qui vendent le matériel qui nous intéresse.  
En 2009, j'avais écrit cela:

"Le photographe semi-pro. Celui qui semi-vit d'un semi-travail avec du semi-matériel. C'est ça non ?
"Avec le Sony Alpha 900, le Nikon D700 et désormais le Canon EOS 5D MKII, l'offre full frame semi-pro est au complet" qu'ils disent sur Internet. Quand je vais chez Objectif Bastille, je le reconnais facilement le "Semi-Pro". Il squatte le comptoir et le vendeur pendant des heures, vu qu'il en veut pour son argent. Il vient d'acheter un 5 D MKII avec un 50 et il veut un exposé complet de la bête et de ses possibilités des fois qu'il ferait les photos tout seul ... Ben oui on ne sait jamais. Pendant ce temps-là il y a 5 personnes qui trépignent d'impatience en attendant que ce type paye et se casse. Mais lui nan, il soupèse, il ergote, il évalue, il questionne ... Dans un 1/4 d'heure, il aura tout oublié, mais ça n'est pas grave, l'important c'est de vivre l'événement à fond. Tu te rends pas compte: Il achète un appareil le mec. Ça, ça compte dans la vie d'un semi-pro. Là il va rejoindre l'armada des "chasseurs d'images", mais dans le haut de la fourchette ... La dernière fois qu'il a ressenti cette excitation, c'est quand il a signé pour sa nouvelle bagnole (avec 10% de remise). Sans compter qu'après le chapitre photo, il y a le chapitre VIDEO, des fois que ça serait le nouvel Orson Welles ... Avec son grand écran HD dans son salon. Le pire c'est que les magasins comme Objectif Bastille en ont besoin de ces types là. Ils pèsent lourd dans le chiffre d'affaires à la fin de l'année. Le 5 D MKII d'ailleurs y en a plus, rupture de stock. Au début du numérique, le semi-pro trempait un doigt de pieds en achetant un "compact expert" à la FNAC. Maintenant il veut du Full Frame avec la vidéo embarquée le semi-pro. On lui a dit que c'était bien ... Pour un peu, il se ferait bien faire un Tee-Shirt avec marqué Photographe Semi-Pro dessus ... Pendant ce temps-là il y a un F5 nickel à 500€ dans la vitrine des occazes": 
"C'est quoi ça ? C'est Full Frame ?"
"Ah ah ! Oui Full Frame Argentique !"
"Ah ? Ça existe ??..."

Il suffit de réactualiser un peu le texte en fonction des nouveaux modèles pour se rendre compte que rien n'a changé depuis ce temps où les microstocks se remplissaient les poches en faisant croire à des pauvres cons sans talent, qu'ils allaient gagner plein de fric, avec leurs petites photos de couchers de soleil et de tomates en grappe. Mais je comprends que les marques s'intéressent en priorité au marché très tendance des néo-photographes qui n'assument rien, excepté de ne remplir aucune obligation légale et de pratiquer sans complexe la concurrence déloyale propre à la nouvelle économie. Celle qui détruit plus d'emplois qu'elle n'en crée, sous les hourras des crétins et des pouvoirs publics.

"Il y a eu une photo avant les pros, elle continuera d'exister après. Pas forcément moins bonne ..." pérorait encore à cette époque André Gunthert, le pape de la photo connectée élu par les médias. Quel visionnaire ! Sa prophétie finira sûrement par se révéler exacte (pour les 2/3), tant les vrais photographes aujourd'hui sans boulot crèvent la dalle. Mais c'est n'en doutons pas, parce que les amateurs sont souvent bien meilleurs que les professionnels et ce dans tous les domaines d'ailleurs (C'est leur supplément d'âme qui les rend intouchables). Fort heureusement, certains opérateurs à la tête de plate-formes digitales, sont là pour organiser le bordel et gagner du pogn ... Euh ! Mettre un peu d'ordre dans tout cela. Permettant ainsi aux clients potentiels de ne pas tomber dans le piège éhonté tendu par le professionnel incompétent par essence et hors de prix en plus. Grâce à leur intervention désintéressée, des passionnés de photographie particulièrement talentueux (refusant de devenir professionnels par abnégation) vont se mettre à leur service pour presque rien.

Ben ouais, il faut s'y faire. Avant les jeunes rêvaient de faire la révolution, aujourd'hui ils rêvent de "#changerlemonde" en piétinant le tissu économique pour se gaver de pognon. Le plus grave dans tout cela, c'est qu'ils trouvent des appuis et des financements assez facilement pour participer à leur petite entreprise personnelle de destruction. Mais revenons-en au Salon de la Photo. Plusieurs d'entre-vous ont attiré mon attention sur la présence d'un stand assurant la promotion de la plateforme "EasyPhotographers" dont le slogan est: "Trouvez des photographes amateurs talentueux près de chez-vous et moins chers". Plateforme dont la splendide page Instagram (6 publications 29 followers) est "ici" et la page Facebook "ici". Peut-être que la géo-localisation des amateurs parait à ces gars-là une folle avancée. Moi je prédis la disparition aux oubliettes de leur brillante idée avant la fin de l'année prochaine. Mais l'essentiel est comme toujours ailleurs. Le fait qu'un salon accueillant les professionnels se donne le droit de faire la promotion d'un tel procédé est à la fois une provocation inouïe et le symptôme d'une société malade qui a complètement perdu ses repères. Qu'importe puisque une fois de plus, les photographes professionnels assistent à cette entreprise de destruction sans aucune réaction ou alors, c'est qu'ils sont déjà tous morts.

Frozen Piglet







  


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